- GUINÉE-BISSAU
- GUINÉE-BISSAUInsérée entre le Sénégal au nord et la Guinée à l’est et au sud-est, la Guinée-Bissau est le seul territoire d’Afrique occidentale continentale à avoir été marqué par la colonisation portugaise, même si celle-ci y fut de courte durée. C’est aussi le seul État ouest-africain ayant dû mener une lutte de libération longue (1963-1974) et sanglante qui, sans remporter de victoires décisives sur le terrain, fut conduite de main de maître par une personnalité exceptionnelle, Amilcar Cabral, et aboutit à saper l’appareil militaire colonial portugais. Au-delà de l’importance réelle de l’enjeu, on peut estimer que c’est le combat anticolonialiste de la Guinée-Bissau qui a été le révélateur décisif de l’inanité de la poursuite de la guerre pour les autorités militaires portugaises en Afrique, entraînant par là même la chute du régime salazariste au Portugal et la décolonisation de l’ensemble de l’Afrique lusophone. Depuis l’indépendance, en 1974, la Guinée-Bissau est confrontée aux problèmes des petits pays africains pauvres, hésitant entre un socialisme proclamé et un pragmatisme économique dicté par le dénuement et la prise de conscience de la fragilité du tissu social. La capitale de la République est Bissau.Un milieu difficileLa Guinée-Bissau est un pays de 36 125 kilomètres carrés dont la superficie émergée en permanence est estimée à seulement 28 000 kilomètres carrés, le reste étant occupé par la mangrove. Les dimensions maximales sont de 330 kilomètres en longitude et à peine plus de 190 kilomètres en latitude. Les frontières, purement artificielles, dessinent un coin s’enfonçant de l’océan vers le Sahel. Le territoire comprend une partie insulaire formée par de nombreuses îles jouxtant immédiatement la côte (dont Caió, Pecixe, Bissau, Arcas, Bolama, Como, Melo) et par un archipel plus éloigné, l’archipel des Bissagos, ou Bijagós, constitué par dix-huit îles principales (dont Caravela, Canhabaque, ou Roxa, Caraxe, Formosa, Uno, Orango, Bubaque). Le continent est strié par de nombreux fleuves et rias au cours sinueux qui sont en fait les meilleures voies de pénétration vers l’intérieur. Du nord au sud, on rencontre le Cacheu (appelé Farim sur une partie de son cours), le Mansôa, le complexe Geba et Corubal, le Rio Grande de Buba (qui est plutôt une ria), le Tombali, le Combidjam et le Cacine. Les navires de haute mer de faible tirant d’eau peuvent remonter jusqu’aux principales agglomérations, presque toutes situées sur la mer ou sur un fleuve. À l’exception du nord-est, tous les centres peuvent être atteints par les chalands. La marée fait sentir ses effets à plus de 100 kilomètres de la côte et elle peut atteindre 7 mètres d’amplitude. Un mascaret est même signalé sur le Geba. Le découpage du territoire par ces cours d’eau rend les communications transversales assez difficiles.On distingue la plaine côtière, semi-marécageuse, qui s’enfonce jusqu’à plus de 40 kilomètres vers l’intérieur. Particulièrement malsaine, elle représente près de la moitié du territoire (îles incluses) et offre le terrain le plus favorable à la production de riz et d’huile de palme. Le climat subguinéen est chaud et humide avec une température moyenne de 260 à Bolama. Les précipitations annuelles vont de 1 500 millimètres au nord à 3 000 millimètres au sud.Les zones intérieures comprennent des plateaux peu élevés (moyenne de 50 m) dont l’altitude va croissant à mesure que l’on s’éloigne de la mer. On passe de la forêt à la savane arbustive ou à la forêt sèche. Les principales formations du relief sont la zone de transition de l’Oio, les plateaux de Bafatá et du Gabú, pour finalement culminer (300 m), à la frontière guinéenne, aux collines de Boé (prolongement du Fouta-Djalon). Le climat de l’intérieur est de type soudanais (moyenne de 260-270) avec une pluviosité moindre (de 1 250 à 2 000 mm). Depuis plusieurs années, la sécheresse affecte gravement l’intérieur et, comme l’agriculture et l’élevage représentent plus de la moitié de la production nationale, les aléas climatiques conditionnent non seulement la survie des ruraux mais également celle de l’économie du pays tout entier. Le pays n’échappe pas non plus aux invasions de criquets.Une économie précaireLa Guinée-Bissau est l’un des pays les plus pauvres d’Afrique et ne se maintient en vie que grâce à l’aide internationale. À cela, plusieurs raisons: la première est l’indigence chronique de la production locale; la deuxième, le sous-développement légué par la colonisation portugaise; la troisième, l’héritage de la guerre, qui a bouleversé à la fois l’économie et la société; la quatrième, la sécheresse qui menace périodiquement l’intérieur. On pourrait également évoquer les choix, l’indécision et les graves erreurs du nouveau régime depuis l’indépendance.L’agriculture reste l’occupation essentielle de 90 p. 100 de la main-d’œuvre locale. Il est à noter que, contrairement à ce qui s’est passé pour l’Angola et le Mozambique, les Européens n’ont eu qu’un rôle minime dans son développement, se contentant d’être, en concurrence avec les Syro-Libanais, les acheteurs de la production. Le riz est l’aliment clé. Avant la guerre de 1963-1974, le volume annuel de production atteignait 70 000 tonnes, ce qui laissait parfois un excédent pour l’exportation. Depuis de nombreuses années, la production a progressé (118 294 t en 1991), mais, la consommation ayant augmenté et les surplus locaux (au sud) étant mal commercialisés en raison de la cherté des transports vers les villes, les importations de riz ne cessent de croître (43 270 t en 1990). Dans une économie ravagée par une inflation galopante, le sac de riz est devenu une unité monétaire. Les autres productions vivrières (maïs, haricot, manioc, mil, sorgho, patate douce) atteignaient à peine 80 000 tonnes en 1980. L’arachide a cessé d’occuper une place prépondérante dans l’économie. Face à un marché international en crise, la production régresse depuis les années cinquante. Elle atteignait tout juste 30 000 tonnes en 1985, soit moins de la moitié du tonnage enregistré trente ans auparavant. En 1990, moins de 2 300 tonnes ont été exportées. Toujours dans le secteur des oléagineux, la production de noix de palme oscille entre 5 000 et 8 000 tonnes annuelles destinées à l’exportation. La seule réussite depuis l’indépendance est la culture des noix de cajou (16 410 t exportées en 1990) représentant près de 70 p. 100 de la valeur des exportations totales du pays.Le gouvernement s’efforce de parvenir à l’autosuffisance alimentaire et, pour ce faire, a lancé et parfois réalisé des projets ambitieux tels le complexe agro-industriel de Cumeré (1981) qui regroupe une huilerie-savonnerie-rizerie près de Bissau (investissement de 20 millions de dollars) ou encore la construction d’une sucrerie et la mise en exploitation de 6 000 hectares de canne à sucre à Gambiel. Ces programmes, financés par l’aide extérieure, se sont avérés des gouffres sans fond, par manque de planification sérieuse, de techniciens et de suivi dans l’effort. Si l’État a bien nationalisé l’essentiel des terres, il accorde, en fait, des concessions et maintient les droits acquis du petit agriculteur. Depuis le lancement en 1987 d’un programme d’ajustement structurel, imposé et soutenu par la Banque mondiale, un certain dynamisme du secteur agricole est sensible, notamment pour la production de la noix de cajou et des céréales (riz inclus). Les plantations privées (pontas ) s’accroissent en nombre.L’élevage constitue une activité essentielle pour les ethnies musulmanes de l’intérieur et pour les Balante. En 1990, on estimait le cheptel à 1 800 000 bovins, source d’une petite exportation de cuirs et peaux. Secteur en plein développement, la pêche représentait, au début des années quatre-vingt-dix, la première source de revenus, grâce aux ventes des droits de pêche (22 860 000 dollars en 1991), supérieures aux exportations elles-mêmes. Le potentiel serait de 70 000 à 100 000 tonnes de poisson et de 2 000 tonnes de crevettes par an. On pense que les flottes étrangères prélèvent illégalement environ 200 000 tonnes dans la zone économique exclusive.L’industrie joue un rôle négligeable. On estimait à 24 000 le nombre des salariés en 1978, dont 19 455 étaient employés par l’État. Or 19 000 salariés vivaient dans la capitale, ce qui donne assez bien l’image de la Guinée-Bissau dans les premières années d’indépendance: un pays sous-développé appliquant à une société traditionnelle des schémas collectivistes adoptés pendant la guerre de libération. Jusqu’en 1986, les échanges extérieurs et intérieurs ont été monopole d’État, ce qui, au niveau de la commercialisation de détail, s’est traduit par de nombreux cas de corruption, de pénurie et d’inefficacité générale.Il faut noter, en outre, l’apparition de quelques espoirs miniers. Un gisement de 200 millions de tonnes de bauxite a été découvert en 1972 près de Boé, un autre de 200 millions de tonnes de phosphate a été signalé dans les régions de Cacheu et de l’Oio, tandis que les prospections pétrolières off-shore ont déjà suscité une certaine tension avec la Guinée et le Sénégal.La fragilité de l’économie est patente et, si des progrès ont été réalisés depuis l’indépendance, l’aide extérieure restera longtemps encore indispensable.Le budget est constamment déficitaire. Au 31 décembre 1990, la dette extérieure atteignait 504 millions de dollars, soit environ trois fois le P.I.B.Une population compositeLa progression démographique doit être établie en comparant le recensement portugais de 1960 (519 229 hab.) à celui de 1979 qui donne le chiffre de 767 469 habitants, cinq ans après l’indépendance. Selon les estimations, le secteur de Bissau atteignait 200 000 habitants en 1988 et la population totale environ 1 million en 1992.Le pays est administrativement divisé en un secteur autonome pour la capitale et huit régions subdivisées en trente-six secteurs (1979). En dehors de la capitale (Bissau), les centres provinciaux ne sont que de chétives bourgades telles Bafatá (13 429 hab.), Gabú, ex-Nova Lamego (7 803 hab.), Mansôa (5 390 hab.), Catió (5 170 hab.), Cantchungo, ex-Teixeira Pinto (4 965 hab.) en 1979.La population blanche a toujours été très peu nombreuse, sauf pendant la guerre. En comptant les Syro-Libanais et les experts étrangers arrivés depuis l’indépendance, les Blancs doivent dépasser le millier (Portugais en majorité). Il est impossible de dire combien de métis subsistent, du fait des allées et venues des Capverdiens depuis 1974. Il semble, malgré tout, que plus de 95 p. 100 de la population soit négro-africaine, répartie en une vingtaine d’ethnies, ce qui reflète le rôle de cul-de-sac qu’a joué le pays pour les peuples descendant du Sahel vers la mer. Encore que les chiffres soient contestés, outre des ethnies résiduelles (Floup, Baiote, Brame, Banhun, Cassanga, Beafada, Nalu, Bijagós), les principales ethnies sont: les Balante (27-28 p. 100), riziculteurs littoraux habiles, farouchement attachés à leur indépendance et qui ont accordé un appui massif au parti d’Amilcar Cabral; les Fula (22-23 p. 100) ou Peuls, envahisseurs islamisés et fortement hiérarchisés en chefferies féodales qui, jusqu’au bout, soutinrent les Portugais jouant sur les antagonismes sociaux et religieux (ce sont essentiellement des éleveurs vivant au Nord et au Nord-Est); les Manjak ou Manjaco (10-11 p. 100), agriculteurs côtiers influencés par les Mandingues ou Malinké (13 p. 100), eux-mêmes agriculteurs et commerçants islamisés venus du Haut-Niger; les Papel (10 p. 100), sur la côte, apparentés aux Manjak.D’une façon générale, le christianisme n’a jamais été que marginal en Guinée-Bissau, attestant la faiblesse de l’influence portugaise, la résistance des cultes animistes et la profonde attraction exercée par l’islam sur les populations de l’intérieur. La dureté du conflit a entraîné des départs de réfugiés vers le Sénégal. Tous ne sont pas rentrés lors de l’indépendance, certains préférant l’exil à l’austérité dans leur pays. En 1974, la démobilisation de 15 000 à 17 000 soldats guinéens incorporés dans les rangs portugais a engendré un nouveau flux de réfugiés hostiles au régime. Après le coup d’État du 14 novembre 1980, certains de ces exilés sont rentrés, tandis qu’une partie de la colonie capverdienne se réfugiait dans son archipel d’origine.À la recherche d’une identitéPeu urbanisée, inégalement attirée par le programme du parti au pouvoir, ethniquement, religieusement et linguistiquement divisée, la population est à la recherche d’une unité que les autorités s’efforcent de consolider par le développement massif de la scolarisation en portugais. À peine plus de 10 p. 100 de la population parle cette langue et le crioulo , langue véhiculaire, semble être compris par moins de 60 p. 100 de la population. C’est dans le secteur de l’enseignement que la Guinée-Bissau a obtenu les résultats les plus nets (36,5 p. 100 d’alphabétisés âgés de plus de 15 ans en 1990), encore que le niveau des études, les moyens et l’encadrement dépendent, dans une large mesure, de l’assistance technique portugaise. Paradoxalement, l’influence culturelle portugaise s’accroît depuis que Lisbonne a renoncé définitivement à toute ambition coloniale.S’il est une réalité tangible, c’est la persistance de faiblesses organiques dans cette société. Les plaies provoquées par une guerre de libération qui fut une guerre civile, ethnique et même religieuse tout autant qu’anticolonialiste ne sont pas encore cicatrisées. En éliminant un des facteurs de mécontentement (l’impression d’être dirigé par une camarilla de Capverdiens), le parti, depuis le coup d’État de novembre 1980, n’a pas réglé les problèmes fondamentaux du pays, mais il a fait un pas vers ceux de ses opposants qui estimaient avoir troqué une sujétion contre une autre.Des contacts superficielsL’histoire globale de la Guinée-Bissau reste à écrire de façon scientifique, les auteurs portugais s’étant bornés à rédiger celle de leur pénétration, en ignorant le passé africain et notamment les siècles antérieurs à leur arrivée sur la côte. Le navigateur Nuno Tristão ne semble pas avoir été le premier Portugais à avoir vu (1446) les côtes de ce qui allait devenir la Guinée-Bissau, mais son nom est traditionnellement et symboliquement attaché à la découverte du pays. Qu’il soit tué avec plusieurs de ses compagnons en tentant d’y prendre pied est assez caractéristique des relations houleuses qu’établiront Portugais et Africains sur cette côte. À l’intérieur, depuis le XIIIe siècle, un État d’origine mandingue, le Gabú, exerce une forte influence sur d’autres États mandingues voisins (Oio, Braço) ou sur des ethnies côtières. Affranchis de la suzeraineté de l’empereur du Mali, ces royaumes de la savane sont en contact avec les marchands portugais des comptoirs.Le littoral est connu sous la désignation de Rios da Guiné de Cabo Verde, et jusqu’au XVIe siècle les Portugais de l’archipel du Cap-Vert ont le monopole de fait du commerce océanique, essentiellement celui des esclaves. Si Cacheu est fondé en 1588 et si des aventuriers blancs et métis, les lançados , trafiquent jusqu’au Soudan, il n’y a pas d’installation véritable de l’autorité métropolitaine avant 1630 à Cacheu et avant 1687 à Bissau. Partout le négoce a précédé l’arrivée des militaires; mais, dès le XVIIe siècle, la concurrence espagnole et française impose la présence de petites garnisons qui, tant bien que mal, se maintiennent dans ces présides, devenus les dépendances mineures du Cap-Vert. Les compagnies commerciales portugaises, créées aux XVIIe et XVIIIe siècles pour monopoliser la traite sur le littoral, aboutissent généralement à des échecs financiers. En 1792, une colonie britannique s’installe à Bolama et est un fiasco retentissant. Le début du XIXe siècle est marqué par des troubles dans les comptoirs, pratiquement abandonnés de la métropole et ouvertement menacés par les Français du Sénégal. À cette époque, la basse Casamance est encore partiellement dans la mouvance portugaise et les relations avec les Africains de l’intérieur sont relativement bonnes car le rapport des forces est constamment en faveur des autochtones.Le fait majeur, au-delà des remparts des fortins, est la conquête du Gabú par les Peuls du Fouta-Djalon à partir des années 1850. Dès lors, l’influence des Peuls l’emportera progressivement sur les plateaux. Les Français ont grignoté la Casamance, mais les Britanniques réinstallés à Bolama en sont évincés par l’arbitrage du président des États-Unis Ulysses Simpson Grant (1870). En 1879, la Guinée portugaise est détachée du Cap-Vert et devient une colonie à part entière.Une résistance opiniâtreLes troubles graves commencent lorsque les Portugais se mettent en tête d’administrer le pays, c’est-à-dire quand ils cessent de payer aux Africains des redevances pour commercer et essayent de lever l’impôt. Une convention de délimitation avec la France (1886) ampute considérablement les prétentions portugaises et place les autorités devant la nécessité de s’implanter à l’intérieur, les armes à la main. Disposant de peu de moyens et de mauvaises troupes, les Portugais vont se heurter à une vigoureuse résistance qui préfigure la guerre de libération. Pour chaque ethnie, une ou plusieurs campagnes seront nécessaires pour faire reconnaître l’administration. Les «lusitanisés» de Bissau et de Cacheu, les grumetes , ne seront pas en reste pour contester le pouvoir colonial. Parmi la trentaine de campagnes importantes organisées à partir de 1879, on doit signaler celles de Geba (1886, 1890-1891) contre les Peuls, de Bissau (grave défaite portugaise en 1891, 1894), de l’Oio et de Farim (1897), à nouveau de l’Oio (1902), de Cacheu (contre les Papel) et surtout les grandes campagnes de 1907-1908 contre une partie des Beafada, Floup, Papel. En règle générale, les Portugais recourent massivement aux irréguliers, momentanément ralliés à eux.La Guinée portugaise est l’enfant malade de Lisbonne, qui n’a même pas la consolation d’en tirer un quelconque revenu, l’essentiel du commerce étant tenu par des maisons françaises et allemandes. En 1913, la plupart des ethnies littorales restent à conquérir. Les Portugais y parviendront grâce au capitaine Teixeira Pinto et à l’emploi de mercenaires sénégalais et peuls qui razzient systématiquement les Balante de Mansôa, de l’Oio et du Geba (1913, 1914), les Mandingues de l’Oio (1913), les Manjak (1914) et finalement les grumetes et les Papel de Bissau (1915). La «pacification» traînera jusqu’en 1935-1936 dans l’archipel des Bissagos (île de Canhabaque).Chasse gardée de sociétés monopolisant l’achat de l’arachide (culture forcée imposée par le régime colonial), dépourvue de possibilité d’expression politique (1 478 Noirs au total ont le statut de «civilisés» en 1950) ou de développement culturel, la Guinée portugaise est le type même de la colonie d’exploitation, quelles que soient les fictions juridiques dissimulant son statut réel.La victoire des nationalistesDans ces conditions, la création de plusieurs mouvements nationalistes était inéluctable. Le plus important, le Partido africano da independência da Guiné e Cabo Verde (P.A.I.G.C.), créé en 1956 par l’ingénieur agronome capverdien de Guinée Amilcar Cabral, appliquant des schémas marxistes, cherche d’abord à mobiliser une classe ouvrière quasi inexistante (échec sanglant de la grève des dockers de Bissau en 1959), puis se tourne vers les campagnes où sa propagande est bien accueillie, notamment chez les peuples animistes (Balante en particulier), mais est contrée par la chefferie peule attachée à ses prérogatives, à sa religion et aux privilèges que lui consent l’administration portugaise. En 1963, la guérilla fait son apparition dans le sud du pays. Elle ne cessera de se renforcer à partir du sanctuaire offert par la Guinée-Conakry et le Sénégal. Installant plusieurs bases dans le pays même, le P.A.I.G.C. rallie à lui de nombreux villages abrités par la forêt ou les marais. Il y organise les rudiments d’une société socialiste (coopératives, magasins populaires, écoles, infirmeries) fondée sur la prééminence du parti et sur l’efficacité de sa guérilla, bien armée par les pays communistes.De leur côté, les Portugais encadrent et regroupent les villages non entrés en dissidence, recrutent massivement les Peul, intensifient le développement de leurs zones; ils maintiennent sur place de 15 000 à 20 000 soldats métropolitains et parviennent tant bien que mal à contrôler la totalité des centres et l’essentiel de la population. Militairement, la situation est sans issue car les nationalistes ne s’essoufflent pas, malgré les coups portés à la guérilla par le gouverneur, le général António de Spínola. L’assassinat d’Amilcar Cabral, au début de 1973 à Conakry, n’entrave pas la lutte du P.A.I.G.C. qui proclame unilatéralement l’indépendance du pays, le 24 septembre 1973. En réalité, sans être vaincue militairement, l’armée portugaise ne croit plus en sa mission et c’est dans les garnisons de Guinée que prend naissance le Mouvement des capitaines qui renverse la dictature à Lisbonne (25 avril 1974).Dès lors, la reconnaissance officielle de l’indépendance par le Portugal est acquise (10 septembre 1974) et tout sera mis en œuvre pour que la passation des pouvoirs s’effectue sans heurt. Sous la présidence du demi-frère d’Amilcar Cabral, Luís Cabral (1974-1980), le P.A.I.G.C. devient l’État et étend à tout le territoire les structures qu’il avait élaborées pour ses zones. Le parti exerce un contrôle absolu sur l’administration, l’économie et les secteurs socio-éducatifs.Le 14 novembre 1980, mécontent d’une révision de la Constitution donnant des pouvoirs accrus au président Luís Cabral, le Premier ministre, le commandant João Bernardo Vieira prend le pouvoir, à la tête d’un Conseil de la révolution appuyé par l’armée. Le P.A.I.G.C. éclate en deux branches distinctes dont la guinéenne conserve l’appellation, mais répudie en fait le dogme unitaire forgé par Amilcar Cabral. Le pragmatisme politique de l’ancienne équipe s’est maintenu sur le plan international (acceptation de l’aide mais refus de toute inféodation) et une réconciliation avec le Cap-Vert s’est opérée. Il est vrai que, aux prises l’un et l’autre avec de graves difficultés, ni le Cap-Vert ni la Guinée-Bissau, héritiers déchirés du mythe cabralien, n’ont intérêt à envenimer les tensions léguées par des siècles de rapports inégaux.Sur le plan interne, la lutte pour le pouvoir au sein du P.A.I.G.C. persiste et prend parfois des formes sanglantes. En 1984, le président Vieira cumule les fonctions de chef de l’État, du gouvernement, du parti et, plus important, des forces armées. L’instabilité politique se manifeste par une tentative de coup d’État (nov. 1985) aboutissant à l’exécution (juill. 1986) du premier vice-président, Paulo Correia. Au sein de l’armée, des tensions ethniques (insatisfaction des Balante) avivent un mécontentement diffus de la population que la réduction des contrôles étatiques sur l’économie n’a pas dissipé. Sous la pression de la vague de démocratisation affectant l’Afrique noire, le P.A.I.G.C. a accepté de perdre sa mainmise sur le pays. En mai 1991, il décrète le multipartisme, mais les premières élections libres prévues pour la fin de 1992 sont néanmoins reportées en 1993, tandis qu’une crise économique sans précédent place le pays sous la tutelle de facto de la Banque mondiale. Depuis l’écroulement de l’U.R.S.S., le parti a perdu ses références et, contraint, doit jouer l’ouverture avec une équipe usée, mais décidée à préserver ses privilèges dans un pays dont le budget et la survie dépendent du bon vouloir de l’Europe occidentale et des institutions internationales.Guinée-Bissau(république de) (República de Guiné-Bissau), état d'Afrique occidentale. V. carte et dossier, p. 1453.
Encyclopédie Universelle. 2012.